Amour insectivore

11 mars, 2017

Amour insectivore

Phalène, un diplômé d’entomologie, se trouva malgré lui fou amoureux de Mactan, une jeune femme qui se passionnait, comme lui, pour les bestioles, les petits êtres à pattes, les grandes choses ailées, les vermissaux fourmillant, les sphères annelées et cuirassées, le néant des yeux noirs minuscules ; leur ressemblance consistait à adorer ce que l’esprit commun répugne.
Tandis que les autres enfants cognaient des ballons et écrasait des bêtes, Phalène collectait des frelons et élevait des bébêtes. Ces habitants d’un monde presque invisible pour la perception humaine, le fascinaient. Parfois il voulait en faire partie. Il s’accoutrait alors d’un déguisement et jouait à se prendre pour l’animal qu’il représentait. Il bourdonnait comme un abeille ou imitait le vol gracieux d’un papillon, mais son mimétisme était infaillible quand il s’agissait d’incarner l’acerbité de l’araignée. Plus âgé, Phalène avait conservé son entichement.
Ainsi Mactan, au nom, par destinée ou hasard, rappelant Latrodectus mactans, la Veuve noire, était l’âme soeur idéale. Elle était radieuse, intelligente, et surtout adorait les petits animaux qu’il idolâtrait.
C’était durant leurs nuits que Mactan révélait toute sa passion extrême, son fétichisme pour les insectes. Elle avait des fantasmes charnels très extravagants portant sur l’univers mandibulaire, qui auraient normalement terrifié n’importe quel partenaire. Néanmoins, Phalène était charmé par ces folies, et son amour grandissait chaque jour. Tellement qu’il avait décidé de lui demander en mariage.
Les épousailles furent joyeuses, et avaient pour thème drôle le domaine des bestioles. Le banquet était plein de criquets et de scorpions en tous genres, comestibles mais servant mieux comme décorations, et il était amusant d’apprécier les parures à antennes de certains convives audacieux.
Mactan avait promis une nuit de noces inoubliable et « arachnidique », pouvant satisfaire son plus grand fantasme sexuel.
Seulement, Phalène n’y survécut pas. Il fut simplement tué et mangé par son épouse. En effet, chez les araignées, il est usuel que la femelle dévore le mâle après l’accouplement.

 

Je suis le diable

1 octobre, 2015

Je suis le diable, le diable ; oui, le diable ! Je suis très grand, très fort ; nul ne peut m’égaler. Je peux soulever des montagnes et atteindre les nuages. J’ai des cornes, oui, des cornes, sur ma tête, pointues, aiguisées, longues ; j’ai des griffes, oui, des griffes, affûtées, ensanglantées, prêtes à excorier. Ma peau est plus noire encore que les feux de la géhenne, et elle résiste à elles sans pâmer.
C’est moi le diable, je suis le diable ; je suis celui qui torture les âmes et réalise les mauvais souhaits ; je suis le maître des enfers, le plus vil des êtres, l’envoûteur dépravé, le juge injuste, le violeur de vierges, le grand persécuteur ; le rusé, le malin, le fourbe, le menteur, le Redouté.
Regardez-moi, si vous l’osez ! Vous tomberiez certainement, en pâmoison ; nul ne peut imaginer ma laideur, nul ne peut se figurer mon visage déformé ; je suis effrayant, croyez-moi.
Je prends plaisir à semer les désastres ; je suis le chaos, la famine, le malheur ; c’est moi qui engendre les guerres, tue les nourrissons et provoque la démence ; c’est encore moi qui ai inventé la dévoration, la prédation, la domination.
Vous êtes fruits de ma création. J’ai créé le monde pour le détruire, car je suis capricieux. Je suis le diable, votre créateur, celui qui vous a donné vos plaisirs pour les anéantir. Vous n’êtes que des pantins qui servent d’amusement provisoire. A l’image de son créateur, le monde est maléfique, perverti ; voilà l’origine de tous vos malheurs !
Je suis le diable, votre créateur.

Prémonitions

24 septembre, 2015

Elle songeait, allongée dans un boudoir.
Il entre, l’attrape et brandit une hache.

La sonnerie de l’horloge résonne :
Il est 3:10.

Elle se réveille en sursaut. Quelqu’un frappe à la porte.
Elle perçoit les tintements de sa montre.

 

 

Il est 3:09.

 

Parasite

23 septembre, 2015

En l’année 2034, l’humanité n’était plus qu’une coque vide. Son apparence avait beau ne pas avoir été altérée, elle était désormais possédée par une puissance supérieure. Ni par le divin, ni par le diable ; asservie, soumise, apprivoisée, rendue esclave par on ne sait quoi, honnie d’avoir été détrônée de son piédestal.
Cependant, les vices des hommes avaient péri en même temps que leur nature ; le mot crime avait disparu du vocabulaire quotidien.
Les gestes des uns devenaient soudainement plus raisonnables :
on disait « Bonjour » aux voisins, on ne jetait plus rien aux rues, on s’invitait à dîner, s’intéressait au destin de ses semblables. Les mensonges, les actes crapuleux et lâches, devenaient méconnus.
En quelques années, le défrichement des forêts comme la pollution des airs, océans et terres avaient cessé ; le pacifisme inédit des gens s’était manifesté par l’arrêt des guerres ; le régime alimentaire des nouveaux hommes était un végétarisme strict, l’élevage du bétail n’existait plus et les autres habitudes barbares du passé avaient sombré. Les inégalités et les injustices n’étaient plus que d’anciennes histoires, des légendes, des mythes qui ne pouvaient voir le jour dans ce paradis terrestre.

Enfin, le monde était parfait, sans défaut.

*

Notes du docteur Yvan Volskotchi, 2021

Il y a peu, au sein de la NASA, des exobiologistes ont signalé, secrètement, la présence d’organismes extrêmophiles martiens, emprisonnés dans des échantillons de glace.
Cette stupéfiante et exceptionnelle découverte, qui résolvait l’énigme de la vie extraterrestre, a été étudiée dans le détail. J’ai dirigé l’équipe de chercheurs chargée d’inspecter ces fossiles vivants, et nos résultats sont suffisamment inquiétants pour inciter les pays à déclencher l’état d’urgence.
En premier lieu, le fait que des formes de vie aient survécu aussi longtemps dans des conditions aussi rudes témoigne d’une robustesse absolument incroyable, qui ne peut être comparée à aucune espèce vivante terrestre connue. En effet, on estime que ce parasite a été enfermé dans la glace depuis la disparition de l’eau liquide vers Mars, soit, en unité l’année, il y a un ou deux milliards. L’arrêt progressif de sa prolifération, apparemment explosive à son époque, ne semble pas être dû à des facteurs externes, tel que la privation de l’eau liquide, auquel il n’est pas inféodé [...] Ce serait plutôt l’extinction des espèces qu’il côtoyait, ce parasite étant complètement dépendant de la biomasse disponible.
Cette dernière hypothèse est illustrée lorsqu’on remarque que le parasite se diversfie sous la forme de fonctionnements biologiques et d’apparences très différents : il s’introduit littéralement « dans » les espèces, et se les approprie. [...]
Lorsqu’on le met en contact avec un organisme étranger, on peut observer au microscope son activation fulgurant : presque immédiatement, il se met à produire des « spores » globuleux et les administre à l’intérieur du corps de l’organisme étranger, qu’importe dans quelles mesures ce dernier est différent d’un point de vue chimique. Lorsqu’il a été contaminé, toutes les particularités de l’espèce sont alors acquises, et le nouveau parasite se met en quête de congénères non contaminés. Les mêmes observations peuvent être faites si l’on place des rats, ou n’importe quelle espèce vivante, y compris l’homme. La méthode de contamination fait penser à celle des champignons terrestres [...] L’organisation prononcée du parasite fait notamment conjecturer qu’il s’agit d’une conscience collective très évoluée. [...]
Les astronautes partis sur mars n’ont pas fait l’objet d’un contrôle strict [...] Les bactéries emportées lors du voyage pourraient être touchées. Peut-être qu’en ce moment même, le parasite est entrain de se développer au sein des populations. Nous n’aurions alors aucun moyen de détecter sa présence, car les méthodes de fonctionnement des cellules saines et celles infectées sont identiques.
En à peine dix ans, l’humanité serait entièrement contrôlée par le parasite. Seuls quelques immunisés, infime fraction de la population, pourraient constituer une protection relative contre les agissements du parasite.

*

Au procès Pignon, organisé en Espagne, on accusait un homme quelconque de calomnies et d’injures contre les forces de l’ordre. La singularité de ce procès est que cette banalité avait fait réunir toute une assemblée de haut placés.
Le pauvre homme fut alors transféré dans un pays où la peine de mort n’était pas abolie.

Ce que l’on pouvait percevoir, ou plutôt sentir, c’est qu’une odeur de moisi régnait dans la salle d’audience.

 

 

Reflet

6 septembre, 2015

On dit que les véritables miroirs reflètent les pensées les plus secrètes, malfaisantes et saugrenues pouvant émerger de l’esprit, qu’il soit vilain ou non. Même le plus exemplaire des anges révélerait, devant un de ces authentiques miroirs, une personnalité d’une malveillance inouïe, profondément enfouie et enfermée dans les cachots de son vaste esprit.
Dans une pièce de la maison, Léa, une jeune femme de nature taciturne, détenait entre ses mains une glace joliment décorée, entourée d’une étoffe de métal argenté ; étaient gravées sur le métal des inscriptions tout à fait étrangères. Elle avait déniché cet étrange miroir dans le grenier. Assise, la jeune femme le manipulait nerveusement depuis déjà un bon moment, prenant des précautions exagérées pour éviter de croiser du regard la face exposée, où elle aurait pu voir son reflet. En effet, dans le grenier, tandis qu’elle farfouillait et qu’elle tomba par hasard sur cet objet qui scintillait dans la pénombre, elle se souvint soudainement des mises en garde et avertissements qui lui ont été dites lors de son enfance. Elle se rappela que sa grand-mère parlait d’ignorants et d’idiots qui auraient regardé leur reflet et seraient devenus par la suite séniles et déments. Léa ne l’avait jamais prise au sérieux, mais une peur irrationnelle avait été introduite en elle, ce qui pouvait expliquer cette hésitation toute naturelle. Mais Léa, en plus d’être curieuse, n’était pas supersitieuse.
Finalement, elle fit pivoter lentement le miroir, pour que ce dernier réverbère son visage dans son entièreté.
La jeune femme poussa un hurlement.

Goule

28 août, 2015

Smiths était un coureur de jupons dont la renommée s’étendait à travers tout le quartier. On disait qu’il avait ignominieusement ensorcelé de nombreuses jeunes filles insouciantes, tellement qu’on l’avait surnommé « le Trompeur » ; en effet, ses méthodes d’approche et de séduction consistaient à se vanter de mérites qu’il ne possédaient pas, mais il fallait tout de même reconnaître qu’il avait un véritable don pour pratiquer l’art odieux du mensonge. Ses talents indiscutables de canaille lui permettaient de tromper ses proies, malgré sa très mauvaise réputation.
Il avait cette adresse, alliée à sa force de persuasion, à reconnaître les femmes abordables en tout temps et en tout lieu. Il était conséquemment un prédateur redoutable. Aucune femme ne résistait à son charme – quoique, exceptées celles qui étaient accompagnées.
Au moyen de subterfuges manigancées, Smiths aguichait la demoiselle qu’il avait choisie, sans choix possible pour cette dernière. Bien sûr, il lui arrivait parfois de commettre une ou deux erreurs, et qu’une femme exigeante lui échappe ; mais au fil d’années de pratique, cela restait rare et il était indéniablement passer maître dans l’art de la séduction.
Son plan de chasse était basé sur l’observation ; il repérait sa victime, avant de passer à l’attaque, parvenant à la soumettre à l’aide de gestes subtils et calculés et de son verbe.
Une nuit, dans un bar du coin, il patientait paisiblement, à la recherche d’une éventuelle prise. C’est alors qu’il constata la venue d’une gracieuse femme. Elle était seule et restait là sous prétexte de vouloir prendre quelque pinte, mais de toute évidence, elle attendait ici pour une toute autre raison. Smiths l’aborda, avec une aisance et une habilité impressionnantes. Elle céda très facilement à ses avances dissimulées ; elle accepta même sans façon l’invitation de Smiths, ce qui était plutôt étrange, car généralement elles ne consentaient que lorsqu’il insistait gentillement, dans un travail acharné de patience, et parfois même ça ne fonctionnait pas. Cette opportunité exceptionnelle ne pouvait pas être manquée ; le dom Juan surpris était ravi d’emporter un butin aussi aisé. Ils se rendirent chez lui.
Il la mit sur un lit, se coucha avec elle et commença à retirer son pantalon. Elle se releva, ouvrit la bouche et révéla trois rangées de dents.
Smiths se rendit soudainement compte que c’était lui, la prise.

Le chanceux

25 août, 2015

Erwin, mathématicien et physicien raté qui n’avait jamais attisé la sympathie, avait su qu’il contrôlerait le monde le jour où il inventa une machine capable d’explorer le temps. S’il le voulait, il pouvait revenir à l’ère des dinosaures, ou assister à la naissance de son arrière-grand-père, ou bien empêcher la venue de n’importe quelle guerre ; il le pouvait s’il le voulait, mais ce n’était pas ses desseins. Que voulait-il ? Le pouvoir, l’argent, la renommée. Il obtiendrait des richesses que les rêves les plus cupides ne pouvaient réaliser. Il lui suffisait pour cela de prendre connaissance des numéros du loto puis de revenir en arrière pour devenir riche. Il détenait le Pouvoir, il était tout-puissant, rien ni personne ne pouvait lui barrer la route.
Erwin sortit de sa maison délabrée, qui ressemblait plutôt à un vieux taudis rafistolé, avec ses bottes noires sales et sa machine temporelle, si compacte qu’elle tenait dans son sac à dos. Il se rendit à quelques pas de sa maison et prit une grande inspiration ; il n’avait aucune expérience avec cette machine, et craignait qu’un problème se produise. Il avait fait des dizaines, des centaines de calculs incompréhensibles pour le non-initié, sur un grand tableau, trouvée dans un sac d’ordures, dans sa minuscule et insignifiante maison. S’il réussissait, sa vie changerait et ses rêves mégalomanes allaient aboutir.

Dans la plaine désolée où il habitait, il activa sa machine en pressant un simple bouton ; des éclairs et des flammes extraordinaires jaillirent du vide, et Erwin disparut dans un fracas.

*

Erwin avait emporté le gros lot : cinq cents millions. Cinq cents millions, se répétait-il frénétiquement. Il avait tout refait : on l’avait acclamé et il était considéré comme étant l’homme le plus chanceux du monde. Il s’était offert une résidence de luxe, un yacht et une demi-douzaine de voitures de sport. Son quotidien, depuis ce jour, se résumait à fréquenter des gens aussi fortunés que lui, à se divertir par des amusements mondains et à passer de fille en fille. Son passé de mendigot était révolu, il était riche et puissant.
Il crut pendant un moment que cela lui suffirait. Cependant, son avarice le poussait à thésauriser excessivement. Il ne put s’empêcher de ressortir de son placard la machine soigneusement cachée par ses soins, car il voulait plus, toujours plus.

*

Le très opulent Erwin, désormais milliardaire, avait acheté plusieurs hectares de forêt, pour ses promenades matinales, avait fait construire des statues en son honneur sur les places des plus grandes villes du monde et avait gagné un surnom élogieux, Défenseur des orphelins, par la presse internationale, pour son don de quelques millions euros – dérisoire en comparant cette somme à sa fortune personnelle – à des associations caritatives. On se demandait bien comment ce banal citoyen avait pu gagner deux fois de suite le plus grand tirage au sort de loto ; les statisticiens ont affirmé que cela était tout à fait impossible. Certains ont même crié au complot. Mais rien ne pouvait l’accuser, on le disait simplement extrêmement chanceux.
Erwin, pendant ce temps, songeait : et s’il retentait ça une troisième fois ?

*

L’ancien mathématicien et physicien raté était maintenant multi-milliardaire. Il sut que son bonheur ne pouvait être égalée. Et s’il achetait le monde ? Cela se pourrait bien, pensait-il. Contrairement au dicton populaire, il savait que l’argent faisait le bonheur – son bonheur en tout cas.
Dans un château surplombant un magnifique paysage, il rêvassait, tranquillement, son cigare entre les lèvres et un feu animant la pièce, seul le bruit gracieux d’un papillon domestique régnait.
Tout s’arrêta soudainement, les mouvements versatiles des flammes et de la fumée ; le papillon cessa de battre ses ailes mais ne tomba pas.
Seul Erwin était capable de se mouvoir, dans l’incompréhension totale, ne sachant pas ce qui pouvait bien se produire. Deux êtres, qui ne venaient pas de ce monde, apparurent sous ses yeux :
- « Erwin Thomas Johnson, fit l’un d’eux, vous êtes arrêté pour l’usage abusive et illicite du temps. Veuillez nous suivre sans discussion.
- Qu. quoi ? Je… je ne comprends pas ce qui se passe. Je…
- Taisez-vous, répliqua rudement l’autre. Vous croyiez passé entre les mailles du filet ? Vous serez jugé par l’Ambassade conformément à la loi.
- L’ambassade… ? Ecoutez, je ne sais pas de quoi vous parlez, je ne crois pas que… »
L’un d’eux fit apparaître dans l’une de ses mains une arme de poing, semblable à un pistolet, et le braqua sur le pauvre homme.
- « Suivez-nous immédiatement, ou nous serons contraints de faire usage de la force.
- Non, vous ne comprenez pas, je… »
Il fut interrompu lorsque l’étranger pressa sur la gâchette.

« Tu crois qu’ils vont être indulgents ? » dit-il à son compagnon.
Il prit un instant pour réfléchir. Il répondit :
« Non, généralement, c’est la peine capitale ».

 

 

 

Veuve noire

24 août, 2015

Le dîner approchait et Vicky jubilait d’excitation. Le plan fignolé et machiné depuis près de six mois allait prendre vie. En effet, depuis six longs et insupportables mois, Vicky endurait l’insistance de son mari, surnommé Toni par ses amis. Il était laid et pataud, mais en contre-parti pour les profiteuses telle que Vicky, il était extrêmement riche. Cependant, depuis leur rencontre, Vicky n’avait qu’un seul objectif : empocher sa fortune et se débarrasser de lui. Elle s’était pliée aux désirs morbides d’un mari pervers, jusqu’à ce que ce dernier lui confie, et lui apporte la preuve écrite, qu’elle sera l’unique héritière de tous ses biens. Depuis ce jour, qu’elle attendait impatiemment, elle avait organisé un plan illicite : assassiner Toni.
Pendant que Vicky préparait les couverts, elle se remémora des planifications dans leur entièreté : la nuit du 22 avril, le jour de l’anniversaire de Toni, elle empoisonnera son plat préféré, la tarte aux citrons ; ceci fait, elle enterrera le cadavre dans une clairière non loin, et, porté disparu, toute sa fortune lui reviendra de droit. Certes, les enquêteurs de police la suspecteraient en premier lieu, mais elle s’était longuement préparée à ces situations et avait déjà inventé tout une gamme de défenses et d’accusations ; de plus, ils n’auraient aucune preuve tangible contre elle, elle avait acheté une capsule individuelle de cyanure au marché noir et ce dans la plus grande discrétion. Elle s’était assurée de n’avoir laissé aucune trace avant de perpétrer son meurtre.
Le trou où Toni sera enterré a déjà été creusé par Vicky, avec une pelle et des gants de jardinage ; quoiqu’il en soit, elle était parfaitement prête.
Son humeur quelque peu euphorique l’avait autorisée à élaborer avec grande joie de nombreuses pâtisseries. Toni avait bien le droit de se goinfrer convenablement avant de décéder, après tout.
Le soir venu, alors que Toni avait passé sa journée dans un bar à fêter avec ses amis ce jour inédit, il rentra et Vicky, qui l’attendait derrière la porte, impatiente, l’accueillit radieusement ; elle desserra sa chemise et s’empara de ses chaussures, en invitant poliment Toni, surpris de tant d’attention, à dîner. Sur la table, un tas accumulé de meringues, bavarois, tartes, galettes, biscuits, nougats, et une infinité d’autres sucreries. Ravi, Toni s’accapara de toute ces merveilles et les enfila gourmand dans sa bouche. Repu, à la fin, Vicky souriante lui offrit la tarte aux citrons, empoisonné par ses soins, qu’il appréciait tant ; il refusa tout d’abord, mais l’insistance de sa femme le fit changer d’avis. Il en prit une part.
Cependant, Vicky, estomaquée, remarqua qu’après plusieurs minutes, rien ne se passa. Elle décida de manger le reste, furieuse, pensant que le poison a été sans effet. Vicky s’effondra, sous l’incompréhension de son mari.

Le sucre est un antidote reconnu contre le cyanure. L’absorption massive de sucre par Toni avait suffi à neutraliser le poison.

Le Monstre sous le lit

24 août, 2015

Maman n’arrête pas de me répéter qu’il n’existe pas. Qu’il n’y a rien sous le lit. Qu’il n’y a jamais rien eu. Mais elle ment, je ne la crois pas. Ou alors elle ne sait pas. Il y a bien quelque chose, il y a un monstre sous le lit. Cela fait des mois qu’il a décidé qu’il vivrait en-dessous, et cela fait des mois qu’il me terrorise.
Au début, il s’est manifesté par des craquements et des bruits étranges, qui me réveillaient souvent ; puis ce tapage s’est fait de plus en plus fréquent et puissant. J’ai arrêté de dormir la nuit ; au lieu de ça, je m’enfouis sous mon drap, tétanisé par la peur, en entendant ces bruits sous mon lit.
Un jour, j’en ai eu assez ; je me suis levé, déterminé, et j’ai posé un pied au sol. Quelque chose de gluant a enveloppé ma cheville. Je n’ai pas bougé, restant là, comme un poltron, pendant plusieurs minutes. Et puis il m’a lâché. J’ai fait demi-tour et me suis blotti contre moi-même. Il est réel, je le dis, il est réel ; il se cache sous mon lit et me tourmente. Je ne peux pas lutter, il est plus fort que moi, et je ne suis pas assez courageux.

La nuit dernière, maman est arrivé ; elle voulait voir si j’allais bien. Je lui ai expliqué une énième fois qu’il y avait un monstre sous le lit. Elle s’est fâchée, et m’a grondé.

« Il n’y a pas de monstre sous le lit ! » a-t-elle dit, avant qu’une tentacule ne s’étende et n’attrape sa jambe.

Lord Alucard

24 août, 2015

Un prince reclus du nom de Lord Alucard résidait un immense château isolé. Tous les manants de la région le connaissait – ou tout du moins connaissait son nom, très peu de gens l’ayant aperçu.
Surtout que par ouï-dire, on disait que ses rares invités, une fois qu’ils aient franchi les grandes portes d’entrée, ne revenaient jamais. La réputation de Lord Alucard était donc quelque peu médiocre, on le craignait énormément et la simple évocation de son nom était synonyme de malheur.
En vérité, Lord Alucard était ce que l’on appelait un vampire : un mort-vivant assoiffé du sang de ses voisins, brûlant aux premières lueurs du jour. Il avait pour habitude d’acheter ou d’enlever les pauvres du coin pour les manger chez lui ; ou alors, lorsque l’occasion se présentait d’absorber un sang plus digne, il conviait des gens nobles à dîner, jamais à déjeuner.

Un jour, il rencontra une femme dénommée Séréna. Celle-ci était radieuse de beauté, tellement qu’on peinerait à croire qu’elle vivait sous un pont. Lorsque les servants du Lord la trouvèrent et l’invitèrent à passer la nuit chez lui, elle accepta, un peu naïve, sans se douter des malices qui l’attendaient.
A dire vrai, Alucard fut tout à fait époustouflé de la créature qui se tenait devant lui ; néanmoins, cela ne l’empêcha pas de garder à l’esprit qu’il allait la dévorer.
Puisque que c’était une jolie sirène dénichée dans un tas d’ordures, ce cas exceptionnel valait la peine de dîner sérieusement avec une invitée, en évitant si possible de commencer à l’assaisonner sans qu’elle n’ait eu le temps de prendre un dessert.
Toutefois, Lord Alucard se rendit compte de l’intelligence et de la sagesse considérables que dégageaient Séréna ; comment une femme aussi noble pouvait-elle vivre dans des conditions aussi misérable ? Il renonça à la manger, tout du moins pour ce soir.

Le lendemain, et les autres jours, Lord Alucard finit par tomber éperdument amoureux d’elle ; ses qualités féminines avaient eu raison de lui. Cependant, la nature même du Lord était rédhibitoire ; trop attaché, il ne pouvait pas non plus se résoudre à la laisser partir. Devait-il lui avouer toute la vérité ? Comment réagirait-elle ? Une seule façon de savoir.
Dans la chambre, il avança d’un pas nerveux, et finit par sortir :
« Séréna, j’ai quelque chose à te dire… »
La fille se retourna, toute attentive aux mots de son mentor :
- « Qu’y a-t-il ?
- Eh bien, je ne suis pas ce que tu crois. Je suis un vampire. Cet être ignoble qui boit du sang humain, j’en suis un. Mais avant que tu ne dises quoique ce soit, je veux que tu saches que…
- Un vampire ? Vraiment ? » répondit-elle, surprise.
« En vérité, j’en suis une moi aussi. Je croyais te manger, mais j’ai renié cette idée car tu m’avais comblée. Faisons connaissance » dit Séréna en souriant, laissant ses saillantes canines à la vue du Lord.

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